Le Japon change d’ère impériale

Une première en 200 ans:  l’empereur Akihito, âgé de 85 ans, abdique. Ce sera son fils, Naruhito, qui accédera au trône du Chrysanthème. 

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Le 30 avril dernier, l’Empereur Akihito a abdiqué. (Photo: Reuters)

La cérémonie d’abdication a eu lieu le 30 avril dans le Palais impérial à Tokyo. Après 30 ans de règne, l’Empereur Akihito, accompagné de l’Impératrice Michiko, a fait ses adieux au peuple japonais. Le jour suivant, l’héritier du trône, Naruhito, a été intronisé comme Empereur du Japon. Il a livré un discours dans lequel il promet de « remplir [ses] obligations de symbole de l’État et de l’unité du peuple, en ayant toujours le peuple à l’esprit et en [se] tenant toujours à son côté ».

Cette série d’événements se déroule durant la fameuse Golden Week, une série de jours fériés aux mois d’avril et mai, récurrente à chaque année au Japon. Or, cette année, la Golden Week revête une signification particulière due à l’avènement de la nouvelle ère: Au total, ce sont 10 jours d’affilés de jours fériés, soit du 27 avril au 6 mai. Évidemment, ceci est une rare opportunité pour les Japonais, souvent décrits comme des workaholics. Même que dans cet article, on recense que 45% des Japonais sont mécontents que la Golden Week ait été rallongée cette année.

L’ère Reiwa

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Le 1er avril dernier, Yoshihide Suga, le secrétaire général du Cabinet du Premier ministre, a dévoilé le nom de la nouvelle ère.

Avec l’ascension au trône d’un nouvel Empereur vient une nouvelle ère. Tel qu’indiqué dans la Loi de la maison impériale de 1947, le Premier ministre et son cabinet sont chargés de déterminer le nom de la nouvelle ère. Celle-ci a d’ailleurs été dévoilée le premier avril dernier par le porte-parole du gouvernement, Yoshihide Suga.

Après l’annonce, plusieurs spéculations sur la signification du nom « Reiwa » (令和) ont circulé. Le premier symbole peut signifier « ordre », « commande » ou « règle », tandis que le deuxième symbole peut signifier « harmonie » ou « paix ». Deux jours suivant l’annonce, le Premier ministre Shinzo Abe a toutefois assuré que « Reiwa » signifiait « belle harmonie ».

Crise de succession

Notons également qu’un enjeu de succession plane sur la famille impériale. Des 18 membres de la famille impériale, 13 sont des femmes… mais la Loi de la maison impériale empêche ces dernières de conserver leur statut royal si elles marient un roturier. Elles sont également défavorisées face à une succession prônant exclusivement la lignée paternelle. Après l’ascension au trône du Prince Naruhito, seulement deux héritiers sont en liste dans l’ordre de succession: le Prince Akishino et le Prince Hisahito.

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La Princesse Mako perdra son titre royal à la suite de son mariage avec un roturier. (Photo: Reuters)

En mai 2017, lorsque la Princesse Mako a annoncé ses fiançailles avec un roturier, cela a semé des doutes quant à la viabilité de la famille impériale. Une fois mariée, la Princesse perdra son titre, ce qui limitera davantage les chances qu’un garçon naisse au sein de la famille impériale.

Les discussions de réforme de la Loi ont cependant commencé bien avant l’annonce des fiançailles de la Princesse. Déjà en 2005, sous le gouvernement de Junichiro Koizumi, la Comission consultative sur la Loi de la maison impériale suggérait d’étendre l’accès au trône du Chrysanthème aux femmes de la famille impériale. Puis en 2011, le gouvernement du Premier ministre Yoshihiko Noda commença à examiner sérieusement les mesures à prendre pour permettre aux femmes de la famille impériale de pouvoir rester au sein de la maison impériale, malgré leur mariage avec un roturier. Cependant, avec l’arrivée des conservateurs au gouvernement en 2012, le processus a ralenti, voire stagné.

Toutefois, le 18 mars dernier, le Premier ministre conservateur Shinzo Abe a annoncé que son gouvernement étudierait la possibilité d’autoriser les membres féminins à demeurer au sein de la famille impériale, et ce, même si elles épousent des roturiers. Le processus devrait commencer après le 1er mai, jour de l’intronisation de Naruhito.

Hiroshima et Nagasaki, deux villes qui se souviennent de la bombe atomique

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Musée de la bombe atomique à Nagasaki

L’une des raisons qui m’a poussé à venir étudier au Japon, outre la culture, la langue et la nourriture, c’est aussi sa riche histoire qui se révèle extrêmement fascinante. Si le shogunat suivi de l’ère Meiji ont façonné le pays tel qu’il est aujourd’hui, l’entrée de l’Empire du Japon dans la Seconde Guerre mondiale en 1941 est selon moi un pan de son histoire qui restera gravé dans les mémoires pour encore plusieurs générations. Le Japon est d’ailleurs le seul pays à avoir subi une attaque à la bombe nucléaire, et ce, à deux reprises, soit le 6 août 1945 à Hiroshima, puis le 9 août 1945 à Nagasaki.

Se souvenir grâce aux musées

Aujourd’hui, les deux villes se remémorent ces douloureux événements via le Musée de la bombe atomique à Nagasaki et le Musée du Mémorial de la Paix à Hiroshima, où un remarquable travail de mémoire y est effectué. Les deux musées sont assez similaires, c’est-à-dire qu’ils retracent les événements du 6 et 9 août 1945, mettant à disposition des visiteurs des simulations du largage de la bombe atomique sur une maquette, un large éventail d’artefacts, des explications des maladies dérivant des radiations, des témoignages des survivants et de plus amples détails quant à l’évolution de la question nucléaire dans les relations internationales actuelles. Les deux musées sont également accompagnés chacun d’un parc de la paix. À celui d’Hiroshima, il est possible pour les visiteurs d’observer le Dôme de la Bombe Atomique (ou Dôme de Genbaku). Autrefois Palais d’exposition industriel, ce bâtiment demeure le seul vestige resté debout suite à la bombe nucléaire. On y apprend que l’opinion publique quant à sa conservation était divisée, mais qu’en 1966, le conseil de la ville d’Hiroshima décida de préserver le dôme. En 1996, il fût ensuite inscrit patrimoine mondial de l’UNESCO. Quant au parc de la paix de Nagasaki, l’espace réservé à l’hypocentre de la bombe atomique mérite le détour. Le monolithe noir qu’on peut apercevoir fût d’ailleurs la première structure construite après l’attaque afin de désigner l’endroit exact où était tombée la bombe.

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Dôme de la Bombe Atomique à Hiroshima
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Parc de l’Hypocentre à Nagasaki

Évidemment, considérant les conséquences dévastatrices de ces événements, les deux musées ont une vocation anti-nucléaire. De plus, une pétition appelant tous les États à ratifier le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires est à la portée des visiteurs. En effet, seulement 22 États l’ayant ratifié, il en reste 28 (pour un nombre total de 50 États) pour que le traité entre en vigueur. Différent du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires est le premier à prôner une interdiction totale de ces armes, ainsi qu’un processus permettant aux États parties détenant l’arme nucléaire d’éliminer leur arsenal.

Lors de mes visites, j’ai aussi appris que les maires de l’époque d’Hiroshima et de Nagasaki, étaient à l’origine de l’initiative Maires pour la paix (Mayors for Peace). Le but de l’organisation est de tracer la voie à l’abolition des armes nucléaires par le biais d’une coopération inter-municipalités, et ce, au niveau international. Elle a été créée en 1982, puis en 1991, elle fût inscrite comme organisation non-gouvernementale (ONG) sous l’égide du Conseil économique et social des Nations Unies. Aujourd’hui, l’ONG compte 7735 villes membres, réparties dans 163 pays.

1945 : L’Empire du Japon résiste

L’arme nucléaire est née d’un programme américain top secret de développement de la bombe atomique, mieux connu sous le nom du Projet Manhattan, en juin 1942. Pendant trois ans, ce projet a mobilisé militaires, ingénieurs et scientifiques. Le coût du développement de la bombe atomique est estimé à 2 milliards de dollars américains.

En juillet 1945, lors de la Déclaration de Potsdam, les dirigeants de l’Union soviétique (Stalin), de la Grande-Bretagne (Churchill) et des États-Unis (Truman) apprirent que le test de la bombe atomique avait réussi. C’est lors de cette conférence, qui dura plus de deux semaines, que les États-Unis ordonnèrent de bombarder le Japon si celui ne se rendait pas. Nous connaissons tous la suite de l’histoire: le Japon n’a pas accepté les conditions de la Déclaration de Potsdam. Rappelons qu’il était aussi le dernier pays du Pacte tripartite encore « debout » après la capitulation allemande (mai 1945) et italienne (avril 1945).

Kyoto parmi les villes cibles

Déjà au printemps 1945, les États-Unis évaluaient les potentielles villes où larguer la bombe atomique. Ces villes devaient remplir des critères précis, tel qu’avoir une zone urbaine d’au moins 4,8 km de diamètre. Le Target Committee, composé de scientifiques et militaires, avait donc la lourde tâche de déterminer le destin tragique de plusieurs milliers de japonais. Plusieurs villes étaient dans le collimateur de ce comité, dont Kyoto. En effet, l’ancienne capitale impériale était considérée comme un choix très sérieux, dû aux important impacts psychologiques qu’aurait provoqué une attaque contre ce joyau du paysage nippon. Tel qu’écrit dans le résumé de la deuxième réunion du Target Committee en mai 1945, Kyoto était classé comme cible AA, au même rang qu’Hiroshima. De plus, les membres du comité ajoutèrent: «This target is an urban industrial area with a population of 1,000,000. It is a former capital of Japan and many people and industries are now being moved there as other areas are being destroyed. From the psychological point of view there is advantage that Kyoto is an intellectual center for Japan and the people there are more apt to appreciate the significance of such a weapon as the gadget.» Supposons que des facteurs topographiques ont joué en sa défaveur.

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Résumé de la deuxième réunion du Target Committee le 12 mai 1945

D’abord Hiroshima, ensuite Nagasaki

Le 6 août 1945, à 8h15 du matin, une première bombe détruisait la ville d’Hiroshima. Puis le 9 août 1945, à 11h02 du matin, une deuxième bombe attaquait la ville de Nagasaki. À Hiroshima, environ 140 000 personnes ont perdu la vie suite à Little Boy, nom donné à la bombe atomique larguée sur la ville. À Nagasaki, où la population était d’environ 240 000 habitants, 73 884 perdirent la vie. Il est possible d’observer une maquette taille réelle de la bombe atomique ayant dévastée Nagasaki, surnommée Fat Man, à cause de sa forme et sa taille de 3,25 m de longueur, 1,52 m de diamètre et pesant 4,5 tonnes.

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Maquette taille réelle de « Fat Man« 

Et aujourd’hui?

En partie à cause de l’article 9 de la Constitution qui oblige le Japon à renoncer à la guerre, en plus de ses engagements contre la prolifération de l’arme nucléaire, il serait en quelque sorte illégal pour le pays de se doter de l’arme nucléaire. Dans un article du New York Times, on évoque que depuis la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011, le pays dépend de moins en moins du nucléaire, ce qui cause une accumulation des stocks de plutonium. Des inquiétudes sont soulevées par des experts qui soutiennent que le stock détenu par le Japon est le plus grand de tous les pays sans armes nucléaires, et que ce stock pourrait théoriquement fabriquer 6000 bombes. En août 2018, la Corée du Nord accusait même le Japon de faire des provisions de plutonium en vue d’un armement nucléaire.

Les experts sont unanimes quant à la capacité technologique et matérielle du Japon de fabriquer l’arme nucléaire, et ce, très vite. Toutefois, il est question ici de sa capacité légale et de sa volonté morale. Sous les menaces grandissantes en Asie de l’Est de la Chine et de la Corée du Nord, les tentatives de l’actuel Premier ministre Shinzo Abe de réviser l’article 9 se font pourtant vaines. Si le Japon entretiendra toujours une relation conflictuelle avec le nucléaire, son acquisition de la bombe atomique n’est pas de sitôt. De puissants mouvements anti-nucléaires sont présents dans le pays depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et semblent renaître depuis la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011.

 

 

 

Le Japon dit non à l’autosuffisance alimentaire

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Le Premier ministre japonais Shinzo Abe en compagnie du président du Conseil européen, Donald Tusk, et du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. (Crédit photo: http://www.plus.lesoir.be)

Re-bonjour! Cela fait un bout que je n’ai rien publié, mais avec la fin de session et des vacances bien méritées sur l’île d’Hokkaido (nord du Japon), je suis désormais beaucoup plus en mesure de vous pondre un nouvel article. Cette fois-ci, j’ai décidé de focusser sur les accords commerciaux qu’a ratifiés le Japon, et leurs impacts sur l’industrie et la consommation alimentaire. Plus précisément, le Japon a récemment intégré deux accords de libre-échange : le Partenariat Trans-Pacifique (PTP) et l’Accord de libre-échange entre le Japon et l’Union européenne (JEFTA). Ce dernier est d’ailleurs entré en vigueur le 1er février dernier.

Pour les besoins de cet article, je me suis entretenue avec Hart Feuer, professeur de la Faculté d’agriculture de l’Université de Kyoto. Le Japon, qui subit un déclin de la main-d’œuvre, tout particulièrement dans le domaine de l’agriculture, a un taux d’autosuffisance alimentaire de 38%, et ce nombre devrait continuer de chuter dans les prochaines années. Selon le Professeur Feuer, cela expliquerait pourquoi le Japon est enclin à ratifier ces accords : « Le but pour le Japon est de diversifier ses partenaires commerciaux, car le pays est grandement dépendant des importations. » Notons que ces accords auront des impacts plus ou moins importants pour les consommateurs japonais, ainsi que les producteurs locaux.

Les Japonais auront accès à du « vrai » parmesan

D’abord, suite à l’entente avec l’Union européenne, le Japon s’engage à reconnaître 205 indications géographiques (IG) sur son territoire, tels que le roquefort (France) et le jambon d’Ardennes (Belgique). Selon l’organisation mondiale de la propriété intellectuelle, une IG « est un signe utilisé sur des produits qui ont une origine géographique précise et possèdent des qualités, une notoriété ou des caractères essentiellement dus à ce lieu d’origine. » Parmi les exemples les plus célèbres d’IG, notons le champagne et la tequila, ou même, le parmigiano reggiano (parmesan). Avant le 1er février, par exemple, il n’était pas rare de voir des fromages produits localement arborer le nom « parmesan ». Désormais, suite au JEFTA, ceux-ci devront trouver un autre nom pour leur étiquette. Il est à noter que le Japon exportera aussi une soixantaine d’IG en sol européen, tels que le miso et les algues japonaises. Toutefois, Feuer explique que « ces produits ne sont pas assez connus et consommés en Europe, contrairement aux Japonais qui consomment régulièrement du vin et du fromage. En ce sens, l’Europe va probablement bénéficier de cet aspect de l’accord ».

Évidemment, une certaine inquiétude règne auprès des producteurs japonais du secteur des produits laitiers. Toutefois, Feuer explique que les tarifs douaniers diminueront de manière progressive sur 10 à 15 ans, ce qui donnera le temps aux producteurs locaux de faire la transition, s’adapter au marché et évaluer leur stratégie pour concurrencer les producteurs européens.

Le riz au cœur des négociations

Le riz est un produit typiquement japonais et hautement symbolique: « Le Japon maintient des droits de douane très élevés sur le riz afin de supporter les petits agriculteurs (production à petite échelle). »

Si ce produit ne fait pas partie de l’accord avec l’Europe, il fait pourtant partie du PTP,  c’est-à-dire que le Japon devra baisser ses tarifs à l’importation de riz des pays membres. Il y a cependant un hic, les quotas de riz étranger imposés par le Japon son extrêmement bas. Par exemple, l’Australie pourra exporter jusqu’à 8000 tonnes de riz au Japon, mais considérant que la production de riz au Japon atteint les 8 millions de tonnes, les importations de riz étranger ne devraient pas avoir un impact sur les agriculteurs locaux. Feuer ajoute que l’enjeu le plus important pour les producteurs de riz japonais n’est pas la compétition outre-mer, mais bien le fait que les Japonais consomment de moins en moins de riz. Plus précisément, si en 1962 les Japonais consommaient en moyenne 5,4 bols de riz par jour, ce nombre a descendu à 2,5 bols en 2016.

La bataille culturelle entourant la viande de bœuf

Un autre sujet extrêmement sensible est celui du bœuf. Outre la vision de protéger les producteurs locaux, la principale motivation pour le Japon de protéger sa viande de boeuf est davantage culturelle: « Les Japonais considèrent leur bœuf comme unique (bœuf wagyu, dont le fameux bœuf Kobe), grâce entre autres à leur régime alimentaire intensif. Au final, c’est plus une question de bataille culturelle. » Feuer ajoute que les Américains et les Australiens sont devenus très doués pour produire du boeuf wagyu, ce qui donne une raison de plus aux Japonais d’être tentés de protéger ce secteur alimentaire.

Notons que les tarifs actuels sur la viande de bœuf importée sont très élevés. Ces tarifs diminueront progressivement de 38,5 % à 9 % sur 15 ans suite à l’entente du PTP. Par contre, Feuer croit que malgré la baisse des tarifs douaniers, le Japon continuera d’exercer un contrôle sanitaire élevé afin de protéger sa production : « S’ils veulent punir le boeuf australien ou américain, qu’ils perçoivent comme un boeuf moins cher sur leur marché, les Japonais trouveront un moyen de le faire, en augmentant les exigences de qualité.« 

Un secteur de l’agriculture en déclin

Comme je le mentionnais en début d’article, l’enjeu majeur est que le Japon diversifie ses partenaires commerciaux, puisque le secteur de l’agriculture est en important déclin. « Il n’y a pas de main-d’œuvre pour une expansion de l’agriculture au Japon. La mécanisation aidera un peu, mais n’augmentera pas la production. Les Japonais doivent se résigner à être dans une situation où le pays est totalement dépendant des importations », souligne Feuer. En effet, le taux de remplacement des agriculteurs est excessivement bas. Pour un agriculteur qui part à la retraite, il sera remplacé par 0.03 agriculteurs.

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Crédit photo: Hart Feuer

Quand un dessin animé japonais dénonce les conditions de travail et le sexisme systémique

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Crédit photo : Time Out

Ce n’est plus une surprise pour personne, Netflix s’avère très utile pour apprendre une nouvelle langue dans un pays étranger. Lassée de me (re)taper les saisons de Terrace House, sorte de téléréalité où l’on y suit le quotidien de la jeunesse japonaise naviguer entre la colocation et les premiers rendez-vous galants dans un pays où les codes sociaux sont innombrables, j’ai commencé à regarder le dessin animé Aggretsuko, où cette fois-ci, les codes sociaux se transposent dans le milieu du travail.

Dès le premier épisode, le ton est lancé. Sous des allures d’un anime mignon et inoffensif, on se rend vite compte que l’émission soulève des enjeux très importants de la société nippone. Aggretsuko se démarque par sa critique du monde du travail japonais. L’émission ridiculise une hiérarchie trop rigide, met en lumière le harcèlement au travail, aborde le sexisme systémique dont subissent les femmes et se moque de l’importance des apparences en société et sur les réseaux sociaux. Faisant face à la pression au travail, le personnage principal, Retsuko, doit supporter quotidiennement un patron diabolique, égocentrique, méprisant et sexiste, et l’on sent à chaque épisode qu’elle est à deux doigts d’un breakdown monumental. Toutefois, ce petit panda roux de 25 ans, comptable, scorpion et de groupe sanguin A+ (on n’omet aucun détails) se défoule chaque soir dans son karaoké préféré afin de ne pas craquer sous la pression. Elle y chante sa chanson de métal préférée dans laquelle les paroles évoquent son ressentiment :

« Karaoke all alone. Heal all the pain from my office job. Wake up in the morning and do it all again. Selling my soul cause I’m a corporate slave. Choke on my rage! »

Honne et Tatemae

La situation de Retsuko met en lumière la dualité honne et tatemae, bien connue au Japon. Ça vous dit quelque chose? Selon le site Vivre le Japon, ces deux mots désignent le contraste entre l’être et le paraître: « Le premier, honne, réfère à ce que l’on pense vraiment en notre for intérieur: opinions, pensées, désirs, etc. Tatemae, quant à lui, réfère au comportement que l’on va adopter en public, selon ce qui est accepté ou non par la société japonaise. »

Cette dichotomie s’applique dans le cas de Retsuko, qui en société n’est qu’un adorable et docile comptable, mais qui en privé se transforme en un panda roux beaucoup moins docile et kawaii. À l’épisode 5, elle finit par révéler son secret bien gardé à ses deux nouvelles amies devenues ses confidentes: « The karaoke rooms are my sanctuary, where I can be my true self« .

Aggretsuko, féministe et progressif?

Agguretsuko, féministe et progressif vous direz? Oui, sûrement. Quoiqu’il soit étonnant que ce personnage rebelle ait été créé par la compagnie japonaise Sanrio, la même à l’origine du fameux personnage Hello Kitty, symbole culte du kawaii et modèle de la féminité. Toutefois, il est forcé d’admettre que d’aborder les problèmes sociétaux à travers un anime est salutaire. L’émission a tout pour rejoindre, d’une part, les salarywomen et salarymen qui se sentent blasés, épuisés et exploités dans un système dans lequel ils ne s’épanouissent pas, et d’autre part, les femmes qui ont l’impression qu’on ne leur donne pas leur place sur le marché du travail. Dans l’émission, à maintes reprises, la place de Retsuko au travail est réduite à servir du thé à son patron, parce qu’elle est une femme : « Give me some tea! That’s part of your job, too. For women, that is! »

Le Japon fait d’ailleurs piètre figure en matière d’égalité homme-femme dans le monde du travail, les femmes demeurent grandement sous-représentées dans les sphères politiques et économiques. En 2013, seulement 12% des membres du Parlement était de sexe féminin, tandis que seulement 7,2% des postes de dirigeant de compagnie étaient occupés par une femme. Plus récemment, un classement effectué par le Forum économique mondial en 2018 classait le Japon au 110e rang sur 149 pays en ce qui concerne l’égalité des sexes. Notons également qu’une disparité salariale existe dans ce pays qui affichait toujours le troisième plus haut écart salarial entre hommes et femmes parmi les membres de l’OCDE, avec 25,7%.

Un autre problème flagrant soulevé par l’émission sont les conditions de travail. Est-ce que le terme karoushi vous dit-il quelque chose? On pourrait le traduire en français par « mort par dépassement du travail » ou « mort par surmenage ». D’ailleurs, vous ne trouvez pas cela alarmant qu’on ait attribué un terme à ce phénomène?  En 2017, les autorités ont répertorié 191 cas de karoushi au pays. La mort d’une employée de 24 ans de la compagnie Dentsu en 2015 avait soulevé de nombreuses inquiétudes quant aux conditions de travail. Depuis, plusieurs mesures ont été adoptées afin de contrer ce phénomène, tels qu’instaurer le Premium Friday qui permet aux employés de quitter le bureau à 15h les vendredis, et limiter les heures supplémentaires à 100 par mois. Certaines compagnies avaient même implanté un drone dans leurs bureaux, jouant la berceuse Auld Lang Syne, afin de « chasser » les employés qui travaillent trop.

Mais dans ce pays conservateur et traditionnel travailler de longues heures est glorifié, où quitter le boulot avant son patron est mal vu et où les japonais ne prennent pas leurs congés par peur de salir leur réputation, les mentalités ne changent pas du jour au lendemain. Une émission tel qu’Aggretsuko, sous les allures d’un anime-comédie-dramatique-un peu trash-mais humoristique, peut en quelque sorte démocratiser l’insatisfaction et la colère des salariés en leur permettant collectivement de prendre conscience des absurdités et exigences abusives dans ce pays où la pression sociale et la pression au travail ne font souvent qu’un.

 

 

Carlos Ghosn, article 9 et double nationalité (ou tout ce que vous devriez savoir sur les enjeux juridiques au Japon)

Pour cet article, j’ai sélectionné trois enjeux juridiques (et politiques) qui ont fait les manchettes au Japon et à l’international récemment. Afin de compléter ma recherche, j’ai sollicité l’aide de mon professeur à la Faculté de droit de l’Université de Kyoto, Antonios Karaiskos, qui a généreusement répondu à mes questions.

FILE PHOTO: Carlos Ghosn, chairman and CEO of the Renault-Nissan-Mitsubishi Alliance, attends the Tomorrow In Motion event on the eve of press day at the Paris Auto Show, in Paris

Carlos Ghosn (crédit photo : Le Monde)

La détention de Carlos Ghosn

En France comme au Japon, la détention de l’ancien patron de l’alliance Renault-Nissan est l’un des sujets chauds de l’actualité. Soupçonné de fraude fiscale, Ghosn a été arrêté à Tokyo le 19 novembre dernier, et demeure détenu jusqu’à aujourd’hui (malgré quelques récents rebondissements). En couvrant cette affaire, les médias étrangers se sont étonnés de la durée (très longue) de sa garde à vue, ainsi que des conditions de détention très sévères.

En effet, cela fait plus d’un mois que Ghosn est incarcéré au centre de détention Kosuge à Tokyo. Selon la procédure pénale japonaise, trois jours suivant l’arrestation sont nécessaires pour que l’affaire se rende au procureur général et que celui-ci évalue le dossier. Ce dernier décidera si le suspect doit rester en prison ou s’il peut être libéré. Ensuite, le procureur pourra demander au juge une extension de 10 jours, à deux reprises, afin de continuer son enquête. Il en fait généralement la demande lorsque le suspect n’a pas avoué son crime, ou si l’on craint qu’il quitte le pays. C’est notamment le cas de Ghosn, qui pourrait s’enfuir dans l’un des trois pays où il détient la nationalité (France, Liban, Brésil), en plus d’avoir nié les faits qu’on lui a reprochés. Au total, le procureur général dispose de 23 jours pour recueillir des preuves avant de traduire le suspect en justice. Dans le cas de Ghosn, celui-ci fait l’objet de trois mandats d’arrêt, prolongeant ainsi sa garde à vue.

Quant aux conditions de détention, celles-ci sont plus strictes qu’au Canada. Par exemple, Ghosn n’a pas droit à l’assistance de son avocat durant les interrogatoires avec le procureur général. De plus, les contacts avec la famille sont limités et laissés à la discrétion du procureur.

Selon le Professeur Karaiskos,  cette procédure a toutefois fait ses preuves : «Au Japon, le taux de condamnation est de 99,9%, parce que le procureur général veille à ce qu’il ait suffisamment de preuves tangibles pour vous poursuivre.»

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Shinzo Abe (crédit photo : CNN)

Révision de l’article 9 de la Constitution

Depuis le début de son mandat en 2013, le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, persiste à vouloir amender l’article 9 de la Constitution japonaise. En gros, cet article controversé stipule que le Japon ne peut pas avoir d’armée :

« Article 9. Aspirant sincèrement à une paix internationale fondée sur la justice et l’ordre, le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ou à la menace, ou à l’usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux. Pour atteindre le but fixé au paragraphe précédent, il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre. Le droit de belligérance de l’État ne sera pas reconnu. »

Je tiens à rappeler que cette Constitution, adoptée en 1947 à la suite de la Seconde Guerre mondiale, a été en quelque sorte « imposée » par l’occupation américaine. Voulant prévenir une remilitarisation du Japon, les auteurs de ce texte ont tenu à ce que l’amendement de la Constitution soit extrêmement difficile. C’est-à-dire que si Abe veut concrétiser son projet, il devra obtenir l’appui au 2/3 des deux chambres à la Diète (parlement japonais), en plus de convoquer un référendum populaire.

Toutefois, le budget militaire du pays plafonne (lequel a atteint les 63 milliards en 2016) afin de financer les Forces japonaises d’autodéfense (FJA) présentes notamment en mer de Chine afin de contrer l’hégémonie chinoise dans la région. Paradoxale vous direz ?

« Selon la compréhension du gouvernement japonais en ce qui concerne l’article 9, il est illégal d’avoir une armée, mais il est légal d’avoir des forces d’autodéfense (FJA). Ce droit d’autodéfense est combiné au droit de poursuivre le bonheur (« right to pursue happiness ») à l’article 13 de la Constitution. C’est-à-dire qu’il faut défendre le pays dans le but de défendre le droit de poursuivre le bonheur », explique le Professeur Karaiskos.

Notons également que la Cour suprême n’a jamais voulu se pencher sur la constitutionnalité des FJA, jugeant la question hautement politique (« high political matter »).

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Naomi Osaka (crédit photo : Business Insider)

La zone grise de la double nationalité

Cet enjeu a refait surface dans les médias japonais en septembre dernier lorsque la joueuse de tennis professionnelle Naomi Osaka a remporté le US Open 2018. Cette dernière, née d’une mère japonaise et d’un père haïtien, a deux nationalités.

Selon l’article 14 de la Loi sur la nationalité, « un ressortissant japonais de nationalité étrangère choisit l’une des nationalités avant l’âge de vingt-deux ans s’il a acquis les deux nationalités au plus tard le jour où il atteint vingt ans ou, dans les deux ans après le jour où il a acquis la deuxième nationalité, s’il l’a acquise après le jour où il a atteint l’âge de vingt ans. »

C’est-à-dire que selon la Loi, l’athlète de 21 ans devra choisir l’une de ses deux nationalités à l’âge de 22 ans. Pourtant, une sorte de zone grise plane sur la mise en œuvre de cette loi, puisque de nombreux binationaux, détenant la nationalité japonaise, n’abandonnent pas nécessairement l’une de leurs nationalités.

« Si vous choisissez la nationalité japonaise, vous ne perdrez pas automatiquement la nationalité de l’autre pays. Cela va dépendre de ce pays. Les autorités japonaises ne peuvent pas forcer un pays étranger de vous retirer votre nationalité. C’est là que réside la zone grise », mentionne le Professeur Karaiskos. Selon lui, deux raisons motivent le gouvernement japonais à maintenir cette Loi : « D’abord, ça concerne le service militaire. Un japonais qui va combattre dans une armée étrangère repose sur un conflit d’intérêt. Ensuite, ça concerne la protection diplomatique. Théoriquement, un binational pourrait obtenir l’aide des deux pays, mais d’un point de vue japonais, ça ne se fait pas. »

Le Japon selon Valérie Harvey

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Valérie Harvey (photo gracieuseté)

J’ai rencontré Valérie Harvey durant l’été 2018 à La Malbaie dans Charlevoix. J’y faisais un stage en journalisme et j’ai eu la chance de couvrir le lancement de son nouveau roman Idole – Anna de Charlevoix. Après avoir échangé quelques mots, j’ai découvert que nous avions une passion commune : le Japon.

Ce pays n’est d’ailleurs plus une surprise pour elle. La sociologue et auteure a déjà publié quatre livres sur le Japon, en plus d’être collaboratrice aux émissions Les éclaireurs et Médium Large sur la chaîne de ICI Radio-Canada Première, où elle intervient fréquemment sur les événements y ayant lieu.

Après plusieurs échanges via Facebook, nous avons décidé de nous rencontrer pour une deuxième fois, mais cette fois-ci, à Kyoto, où elle y reste pendant trois mois pour suivre des cours de japonais, et ainsi consolider la maîtrise de cette langue qu’elle admire tant.

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Au temple Nanzen-ji, où nous étions accompagnées de son fils Léo et de son amie Tania.

Nous nous sommes rencontrées au temple bouddhiste Nanzen-ji. J’en ai d’ailleurs profité pour discuter avec elle de nos expériences au Japon. Dans cette entrevue, elle nous partage sa vision de ce pays qui la fascine tant.

Pourquoi cet intérêt pour le Japon?

Après avoir étudié l’allemand, l’espagnol et l’italien à l’université, je suis tombé sur le japonais. Au début, j’ai été attirée par le son de la langue. Maintenant, ce n’est plus cela qui m’attire, mais plutôt la culture et les gens. Je considère que c’est un pays très attachant. À travers l’apprentissage de la langue, j’ai découvert toute une société qui m’a grandement intéressé.

Qu’est-ce qui est le plus difficile dans la langue japonaise?

Le vocabulaire est complètement différent, ce qui peut être difficile. Il y a aussi les caractères chinois qui sont compliqués, puis les quatre niveaux de politesse et savoir quand les utiliser. Par contre, il y a des facilités qu’on n’a pas en français. Par exemple, la grammaire est beaucoup plus simple en japonais : il n’y a pas de futur et il n’y a qu’un seul passé. Aussi, la prononciation est très simple, puisqu’il n’y a pas de tonalités comme en mandarin.

Selon toi, quelles sont les ressemblances culturelles les plus marquantes entre le Québec et le Japon?

On m’avait averti que les Japonais avaient peur des étrangers, mais ils ont été beaucoup plus accueillants à ce que je m’attendais. Le temps que ça prend pour développer une relation au Japon, je trouve que ça ressemble à chez nous. Même si les Québécois sont très accueillants et chaleureux, ça prend du temps avant qu’on invite quelqu’un chez soi. Je trouve que c’est le même au Japon, mais quand on est amis, on l’est pour vrai. Je trouve aussi qu’au Québec on a tendance à être réservé et à ne pas dire toujours ce que l’on pense. Par exemple, les Québécois ne diront jamais qu’ils n’ont pas aimé la nourriture au restaurant. C’est pareil au Japon. Ils ne le diront pas, mais ils ne reviendront pas!

Selon toi, quelles sont les différences culturelles les plus marquantes entre le Québec et le Japon?

Le plus différent c’est dans la façon de dire les choses. Par exemple, je disais à ma professeure de japonais que je serai à Tokyo au mois de mai et elle m’a répondu qu’elle y sera aussi, mais elle n’a rien dit de plus. Après, je me suis demandé si cela voulait dire qu’elle voulait qu’on se voit à Tokyo. Le lendemain quand j’ai vu ma professeure, je lui ai demandé si elle voulait qu’on se rencontre à Tokyo. Elle était en fin de compte très enthousiaste à l’idée. Donc, c’était une invitation de sa part, mais avec l’espace pour moi de dire « non ». Les Japonais ne vont jamais vous inviter directement, car si elle m’avait demandé directement si je voulais qu’on se voit à Tokyo, cela aurait été impoli de ma part de dire « non », alors j’aurais sûrement dit « oui ». Au début, c’est difficile et ça peut être frustrant, mais on s’adapte et il faut savoir lire entre les lignes et comprendre le non-dit, le tourner-autour-du-pot, etc.

Sinon, il y a aussi le bruit en mangeant. Au Québec, on apprend que c’est impoli. C’est la même chose pour renifler. Ici, on dit aux enfants de ne pas se moucher, parce que ce n’est pas hygiénique.

Quels sont tes futurs projets/défis?

Au printemps prochain, j’ai un roman et une traduction d’une poétesse japonaise pour enfants qui seront publiés. Aussi, en janvier, je recommence à enseigner le japonais dans une école secondaire à Québec. Sinon, je compte continuer à faire de la radio et finir mon doctorat.

Pour en savoir plus sur Valérie, vous pouvez suivre ses aventures au Japon sur son blog, ainsi qu’à la radio de ICI Radio-Canada Première à partir de janvier.

 

 

Le festival de l’Université de Kyoto en photos!

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Le 21 novembre dernier, l’Université de Kyoto lançait la 60e édition de son November Festival. Sur le coup de 18h, dans le cadre du Festival Eve (la veille du festival), un feu de joie a été allumé sur le terrain de baseball du campus Yoshida.

Étalé sur cinq jours, le festival s’est tenu jusqu’au dimanche 25 novembre. Les cours ont été levés pour toute sa durée, ainsi que pour la journée du lundi 26 novembre, consacrée au nettoyage du campus.

Dans le cadre de cet événement ouvert au grand public, une centaine de kiosques (oui, vous avez bien lu) ont été installés sur le campus, pour servir une grande variété de nourritures et de boissons, tant japonaises qu’internationales. Ces kiosques étaient tenus principalement par les clubs de l’Université de Kyoto, mais également par certains cercles. Ainsi, les étudiants se sont transformés en sympas rabatteurs le temps du festival, tout en arborant fièrement la veste de leur club.

Plusieurs scènes étaient aussi installées partout sur le campus. Pendant cinq jours, c’est sous un horaire chargé que se sont succédées les prestations de cosplay, de musique (jazz, beatbox, J-pop), de danse (modernes et traditionnelles) et autres.

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Le Club des Bons Samaritains a choisi de vendre des gyozas (dumplings japonais).

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Le reconnaissez-vous?

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Trouvez l’instrus(e)!
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Cocktail composé de glace sèche!

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Kiosque du Cercle des étudiants Taïwanais de Kyoto
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On y sert un plat typique de Taiwan, le lu rule fen, composé de porc braisé, d’oeufs et de riz.

Quand l’Université de médecine de Tokyo discrimine délibérément les filles

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Crédit photo : Japan Times

Pour cet article, j’ai décidé de vous parler du scandale de l’Université de médecine de Tokyo, qui a déclenché un tollé au Japon. La première fois que j’ai entendu parler de cette histoire, je ne pouvais pas y croire. Pour moi, c’était inimaginable qu’une institution académique puisse avoir recours à ce genre de manigance afin de discriminer délibérément les femmes dans son processus d’admission, notamment dans un pays démocratique et ultra-moderne comme le Japon.

Je vous raconte.

En août dernier, une enquête a révélé que l’université manipulait les résultats d’examens d’entrée afin de favoriser les candidatures des étudiants masculins. En bref, les dirigeants de l’université avaient décidé de limiter le nombre d’étudiantEs admises à 30%. Ainsi, le système de calcul des points désavantageait automatiquement les femmes. Ce système accordait des points additionnels à tous les candidats masculins, même à ceux ayant échoué l’examen d’entrée à trois reprises. Quant aux femmes et aux autres candidats ayant échoué l’examen à quatre reprises, ils ne se faisaient octroyer aucun points supplémentaires.

La raison de cette fraude est simple : la majorité des femmes arrêtent de travailler après le mariage ou après avoir donné naissance. En effet, ceci est une habitude courante au pays du soleil levant. En 2013, ce fût d’ailleurs le cas de 64% d’entre elles.

Sur la toile, ce scandale a créé une vague de contestations. À l’aide du hashtag #私たちは女性差別に怒っていい (« Nous pouvons nous mettre en colère contre la discrimination envers les femmes »), plusieurs femmes ont utilisé les réseaux sociaux pour dénoncer la discrimination qu’elles subissent, notamment dans le milieu de travail. Les youtubeurs Rachel & Jun ont d’ailleurs traduit en anglais plusieurs de ces plaidoyers dans lesquels les japonaises y déplorent le sexisme systémique.

Toutefois, ce scandale n’a pas été dénoncé unanimement par la population. Certains ont même fait l’apologie des méthodes de l’université. Ce fut le cas du mangaka conservateur Yoshinori Kobayashi, notamment connu pour ses idées révisionnistes. Dans une bande dessinée dédiée au sujet publiée dans le magazine SPA !, il y argumente que les choix de spécialisation des femmes médecins ne concordent pas avec les besoins médicaux de la population. C’est-à-dire si l’on acceptait plus de femmes en médecine, celles-ci se dirigeraient vers la dermatologie ou l’ophtalmologie, ce qui ferait en sorte qu’il y aurait une pénurie de chirurgiens. Il termine son raisonnement en disant que « la vie humaine passe en premier, et l’égalité des sexes en deuxième ».

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Dans une société japonaise où les forces conservatrices et progressistes cohabitent difficilement, ce scandale est pourtant contraire aux womenomics prônés par le Premier ministre Shinzo Abe. Les politiques de son gouvernement conservateur mettent les femmes au premier plan de la relance économique du pays. D’ailleurs, dès son entrée au pouvoir en 2012, Abe a privilégié une mobilisation des femmes sur le marché du travail avec des mesures visant à augmenter le nombre de femmes dans des postes de direction, encourager les hommes à prendre des congés de paternité, offrir une meilleure accessibilité aux services de garde et augmenter les prestations de garde d’enfants.

Depuis, l’Université de médecine de Tokyo s’est excusée et essaie tant bien que mal de réparer les pots cassés. Le 7 novembre dernier, l’université a annoncé qu’elle accepterait l’admission des candidates rejetées en 2017 et en 2018. Au total, ce sont 101 étudiantes qui pourront assister aux cours dès le début de la prochaine année scolaire. Toutefois, 24 étudiantes lésées ont entrepris une poursuite en justice pour obtenir réparation. Celles-ci réclament 7,69 millions de yen (89 000$CAN) en dommages et intérêts.

Notons également qu’une enquête du ministère de l’Éducation a été déployée afin de déterminer si d’autres écoles de médecine aurait eu recours à des manœuvres similaires. Dans une entrevue accordée à France24, le responsable de l’enquête, Jin Tsukada, croit que ce pourrait être le cas : “All the other medical schools say they don’t cheat, but in most of these universities, when we compare the results, male candidates have much better results than the female candidates”.

Cette fraude majeure illustre bien les nombreux enjeux auxquels fait face le Japon. Si ce scandale y expose brutalement les difficultés en matière d’égalité des sexes, il effleure également les enjeux qui concernent la pénurie du personnel médical et le vieillissement de la population.

Si aucun pays n’est à l’abri du sexisme, il faut cependant admettre que le Japon fait piètre figure en matière d’égalité homme-femme comparé aux autres pays industrialisés. Selon un rapport du Forum économique mondial publié en 2017, le Japon se situait au 114e rang sur 144 pays en ce qui concerne l’égalité des sexes. Dans ce pays où les mentalités sont majoritairement conservatrices, tout porte à croire que c’est malheureusement à coup de scandales similaires exposant les inégalités, qu’on pourra accorder aux femmes une place davantage prépondérante dans la société.

La mentalité des « clubs » dans les universités japonaises

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Lorsque j’étudiais à Montréal, je me souviens qu’une étudiante japonaise en échange m’a demandé si elle pouvait rejoindre un club à l’université. Je l’ai aussitôt dirigée vers l’association étudiante…

Hélas, je n’avais pas du tout compris sa question. Aujourd’hui, je lui dirais que cette mentalité des clubs n’est malheureusement pas ancrée dans la mentalité universitaire québécoise.

Et ces fameux clubs, que sont-ils ?

On pourrait les comparer aux activités extracurriculaires par chez nous. Toutefois, la différence au Japon, c’est que ces activités se déroulent au sein de l’Université même, et qu’elles sont composées uniquement d’étudiants dudit établissement. Si vous vous intéressez à la culture populaire japonaise, vous avez probablement déjà entendu parler de ce concept de clubs universitaires, qui sont souvent dépeints de manière méliorative (et stéréotypée) dans les mangas et les animes. 

Notons qu’il existe une nette différence entre un club (kulabu) et un cercle (saakuru). À l’Université de Kyoto, les clubs sont exclusivement sportifs et représentent l’Université dans les compétitions inter-universitaires. Le niveau d’implication y est d’ailleurs beaucoup plus soutenu. Au total, 54 clubs sont reconnus par l’Université de Kyoto, tels que les clubs de basketball, de judo, de gymnastique et de golf. D’ailleurs, le Boat Club a remporté plusieurs fois le championnat national, tandis que l’American Football Club a remporté à quatre reprises le titre d’équipe amateur numéro un au Japon.

Quant aux cercles, ceux-ci sont beaucoup plus variés et casual. Ils rejoignent toutes sortes d’étudiants, qu’ils soient sportifs, intellectuels, artistiques ou religieux. Au total, on en dénombre 132 officiels, toutes catégories confondues. Par exemple, on retrouve des cercles de guitare, de street dance, d’histoire, de biologie, d’environnement, de magie, de photographie et plusieurs autres. Tout aussi variés les uns des autres. Parmi les plus insolites, comptons le cercle de boomerang, celui d’étude de l’espéranto et celui d’étude des champignons… Alors, quand je vous disais que c’était varié !

Certains se consacrent aux traditions japonaises, tels que le cercle de Noh (théâtre japonais), le cercle d’ikebana (arrangement floral) et celui de calligraphie japonaise. D’ailleurs, mon ami Gorka, étudiant espagnol en échange, a décidé de rejoindre le cercle de karuta, un jeu de cartes traditionnel japonais qui mêle poésie et mémorisation.

Et à quoi servent-ils ?

Au sein des universités japonaises, rejoindre un club ou un cercle est quasi-mandataire pour les nouveaux étudiants. Appartenir à l’un deux, c’est une certaine manière d’appartenir à une communauté, pratiquer un hobby qui nous passionne et tisser des liens avec d’autres étudiants ayant les mêmes intérêts que nous. Bref, vous voyez le principe.

Mon ami Tomoshige, étudiant de troisième année en médecine, fait partie du club de tennis de sa faculté. Tout en poursuivant un hobby qu’il pratique depuis l’école secondaire, cela lui permet aussi de côtoyer des personnes de tous les horizons et de toutes les personnalités, ce qu’il considère comme un beau défi.

Sur son site internet, l’Université de Kyoto affirme que les clubs contribuent directement au développement personnel de ses étudiants. De plus, dans une formulation rigolote, l’Université prie implicitement ses étudiants de ne pas troquer leurs activités de clubs au détriment de leurs études :

« Through participating in an organization fitting their individual personalities and conditions, students can enjoy their campus life with greater happiness and fun in a limited period of time. »

Malgré cet avertissement un brin paternaliste, l’existence en soi de divers clubs a pour effet de rendre le campus « vivant ». Il n’est donc pas rare d’y voir des étudiants jouer à la corde à danser, chanter a cappella, danser, ou même pratiquer au sein d’un orchestre symphonique. Même la fin de semaine, le campus reste particulièrement animé grâce à la présence de ces cercles qui se réunissent n’importe quel jour de la semaine. Avec une Université qui demeure conciliante, cette mentalité des clubs permet aux étudiants de s’approprier le campus, laissant ainsi régner une ambiance et une dynamique réjouissantes.

L’affaire du dortoir Yoshida : les étudiants n’ont pas dit leur dernier mot

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Crédit photo : Japan Times

Depuis quelques jours, me demandais quel serait le sujet de mon premier article. Je pensais certainement que j’écrirais un article sommaire sur l’Université de Kyoto : sa réputation, ses étudiants célèbres, ses nombreuses chaires de recherche et son processus d’internationalisation au fil des ans.

Cependant, durant mes premiers jours à l’Université de Kyoto, j’ai pris conscience d’un sujet qui m’a plongé tête première dans la vie étudiante de ce grand établissement académique : l’affaire du dortoir universitaire Yoshida (ou Yoshida-Ryo) qui oppose ses résidents à l’Université.

Je vous explique.

Le 19 décembre 2017, l’Université de Kyoto a annoncé que tous les résidents de Yoshida-Ryo devront quitter les lieux d’ici la fin septembre 2018. Toutefois, ce n’est pas la première fois que l’Université fait une telle annonce.

En 1982, citant la dangerosité du bâtiment, les autorités avaient déjà ordonné aux étudiants de quitter les lieux… ce qui n’avait pas été fait. Depuis, des pourparlers ont eu lieu entre les deux parties, mais la rénovation du bâtiment n’a jamais été effectuée. Seulement en 2015, une nouvelle section du dortoir fût construite, tandis que l’ancienne section gardait ses équipements désuets.

Du côté des étudiants, on attribue la faute à l’Université, qui n’aurait pas tenu ses promesses de rénover le dortoir. Ceux-ci s’opposent également à la démolition de Yoshida-Ryo, car ils désirent conserver l’autogouvernance de leur dortoir. C’est-à-dire que depuis sa création, en 1913, ce sont les étudiants qui décident de son organisation et qui reçoivent les applications des nouveaux résidents.

Dans un pamphlet intitulé « Save Yoshida Dormitory », les résidents y font l’éloge de l’ambiance estudiantine inclusive et éclectique : « If Yoshida Dormitory disappears, its unique culture and socially progressive atmosphere will be lost forever. »

De plus, ils affirment que Yoshida-Ryo est économiquement accessible aux étudiants à faible revenu. Par exemple, le loyer mensuel coûte 2 500 yens par mois (environ 30$CAN par mois), qui inclut l’électricité, le gas et l’eau. Toutefois, la vétusté des lieux et la densité élevée de chambreurs dans le dortoir illustre le prix dérisoire. Selon l’Université, Yoshida-Ryo aurait atteint sa capacité maximale d’accueil. En novembre 2017, on dénombrait 272 résidents. Pourtant, le dortoir ne peut en accueillir que 241, toujours selon les autorités.

Dans un communiqué publié sur son site web, l’Université préconise la démolition pour des raisons de sécurité. « The old Yoshida-Ryo building was built over 100 years ago. It has extremely poor earthquake resistance and may be seriously damaged or collapse if a large earthquake occurs », peut-on y lire.

Même s’il perdure depuis des décennies, le conflit ne semble pas s’essouffler. Les deux parties semblent faire la sourde oreille. Si la stratégie des autorités reste inconnue, on sait que les étudiants ne sont pas prêts à abandonner la bataille. Si ceux-ci accepteraient volontiers de rénover le dortoir, ils rejettent d’emblée sa démolition, car pour eux, le Yoshida-Ryo est un symbole d’autogouvernance estudiantine unique. De plus, ils ont entrepris plusieurs actions afin d’empêcher le pire : une pétition circule afin de sauver le dortoir de la démolition, des dons sont recueillis pour rénover la bâtisse et des pamphlets sont distribués afin de sensibiliser la population à la cause. Jusqu’à maintenant, leurs efforts ne semblent pas vains, puisqu’en date du 1er octobre, Yoshida-Ryo demeurait intacte.